La Touques : canalisé il y a 150 ans, le petit fleuve va-t-il retrouver son espace naturel ?

De son cours presque rectiligne, elle sépare Deauville de Trouville. Mais, naturellement, la Touques rejoignait la mer dans un vaste estuaire marécageux, large de plusieurs kilomètres, allant jusqu’à Villers sur Mer.

Pour développer la côte et créer une ligne de chemin de fer, il a fallu réguler la Touques, la détourner, la canaliser. Depuis 1863, elle a pris son cours actuel. 

La Communauté de Communes Coeur Côte Fleurie réfléchît maintenant à l’avenir du petit fleuve et a mené une consultation auprès des habitants. De grands changements sont à prévoir. 

Elle vient du département de l’Orne, quelque part entre Argentan et l’Aigle. Elle sillonne tout le Pays d’Auge, s’écoulant du Sud vers le Nord, en passant par Lisieux et Pont L’Evêque, avant de se jeter dans la mer, juste à coté du casino de Trouville. 

Tout ce qui s’écoule entre le bassin de la Dive qui aboutit à Cabourg et celui de la Risle qui rejoint la Seine, tout ce qui s’écoule entre ces deux bassin, rus, rivières ou ruisseaux, aboutit dans la Touques.

Jusqu’au 19e siècle, la petite ville de Touques était le dernier port fluvial sur la Touques, celui situé le plus au Nord, le plus près de la mer.

Un bateau sur la Touques, le fleuve, à Touques, le village, au 19e siècle.

Après ce port, se développait un large estuaire marécageux où, au gré des saisons et des marées, on était parfois sur de la terre ferme, parfois dans de l’eau douce, parfois dans de l’eau de mer, le plus souvent dans de l’eau saumâtre. Parfois en communication directe avec la mer, parfois séparée d’elle par des dunes de sable. 

Le cours de la Touques a été canalisé entre 1846 et 1849 pour assécher des terres marécageuses et faciliter la navigation des bateaux de pêche ou de commerce. Puis, il a été détourné en 1863 pour prendre son tracé actuel, qui va presque plein Nord de Touques à l’embouchure. 

L’ancien estuaire marécageux a disparu, ce qui a été décisif pour le développement de toute la côte, de Deauville à Villers, en passant par St Arnoult, Tourgeville et Blonville.

Enfin, disparu, pas complètement. Le Marais de Blonville - Villers, qui s’étend près de la mer sur quelques kilomètres de long, est une survivance de cet ancien estuaire de la Touques. 

C’est par ici, à 8 km de l’embouchure actuelle, que se trouvait l’estuaire de la Touques.

Le cours de la Touques a beau être maintenant bien défini de sa source à son embouchure, le petit fleuve garde une certaine propension à sortir de son lit, lors de périodes de fortes pluies en hiver. Cela arrive fréquemment au Nord de Pont L’évêque.

Le réchauffement climatique  / changement climatique amène une intensification des pluies : les scientifiques le prévoyaient, les habitants ont commencé à le constater. Et avec cette pluviosité augmentée, les risques d’inondation s’accroissent, tout au long du parcours du fleuve.

Surtout, la Touques se remplit à chaque marée. Et, autre conséquence du changement climatique, le niveau de la mer monte. Lentement, mais sûrement : de 3 mn par an selon le GIEC normand. Le niveau de la mer est déjà monté sur la côte normande de 20 cm depuis les années 1900. Une nouvelle hausse de 25 à 30 cm d’ici à 2040 est envisagée.

Plus de pluies et une mer plus haute : on s’attend à ce que la Touques ne reste pas sagement dans son lit au cours des prochaines décennies, mais ait une tendance à déborder, ce qui peut avoir d’énormes conséquences.

Le débordement de la Touques a transformé cette route en petite rivière.

Pour prendre les devants, la Communauté de Communes élabore actuellement un plan-guide des berges de la Touques. Il s’agit de prévoir les effets du changement climatique, de concevoir des aménagements, tout en répondant aux souhaits des habitants. Pour connaitre ces attentes de la population, des micro-trottoirs ont été organisés et un questionnaire a été mis en ligne.

Concernant le changement climatique, la très grande majorité des répondants est consciente de ses implications pour la Touques. Et la préférence va à « des solutions qui prennent mieux en compte la nature » à 64%. 28% pensent qu’il faut surtout « se protéger en construisant des aménagements adéquats », on pense par exemple à des digues. 

Il est à noter que si 6% des répondants pensent qu’il n’est pas nécessaire de faire quoi que soit, 2% sont franchement pessimistes, puisque selon eux, « on ne peut rien faire, il faut se délacer vers des endroits moins risqués ». 

Les désirs de la population concernant les berges de la Touques vont aussi dans le sens d’une plus grande place laissée à la nature. Les trois termes les plus choisis par les répondants sont « nature », « sauvage » et « biodiversité ». Les propositions d’installation d’animations ou d’équipements sur les berges ne recueillent que 4% des voix chacune. 

Laisser plus de place à la nature. L’idée joint l’agréable pour les habitants et l’utile pour l’adaptation à la montée des eaux, qu’elles soient d’origine pluviale ou maritime.

Comme on sait que la Touques ne va pas toujours rester dans son lit, autant prévoir où elle « déborder ». 

L’idéeà la fois la plus naturelle et la plus effiacce est de refaire vivre partiellement l’ancien estuaire. Des canaux à construire permettraient à l’eau de s’écouler vers les espaces humides ou demi-marécageux qui existent encore actuellement, vers St Arnoult et Tourgeville. Certains pensent aussi à prévoir que les deux hippodromes de Deauville pourraient même, en cas d’urgence, devenir des zones de stockage d’eau. 

En fait, un maillage de cours d’eau sur tout l’espace proche du niveau de la mer pourrait permettre que les eaux de la Touques et de la marée se retrouvent un peu partout dans la zone Trouville-Villers. Un peu partout sauf dans les rues, routes, bâtiments et équipements qui seraient ainsi préservés, même en cas de forte montée du niveau de la Touques.

S’il semble qu’un consensus vers une vision de ce type se dessine pour l’avenir de la Touque, les choix concrets ne sont pas encore faits.

Le plan-guide des berges de la Touques est actuellement en élaboration. Avec à la fois des actions réalisables rapidement et des perspectives à long terme pour le petit fleuve.